20.
Tout fout le camp
Quand une jolie fille vous regarde comme Alice m’avait regardé, il y a deux possibilités : ou bien c’est une allumeuse et vous êtes en danger ; ou bien ce n’est pas une allumeuse et vous êtes encore plus en danger.
J’étais une huître peinarde dans son confort hermétiquement clos, et tout d’un coup, voilà-t-y pas qu’Alice me cueillait, m’ouvrait la gueule et m’aspergeait de citron.
— Seigneur, ne cessais-je de me répéter, faites que cette fille aime son mari, parce que sinon, je suis dans la merde !
Je n’ai pas donné signe de vie à Alice. J’espérais que le temps effacerait ce pincement au cœur. J’avais raison : le temps estompa mes sentiments, mais pas ceux que j’aurais voulu. C’est Anne qui en faisait les frais, à mon grand dam. Il y a beaucoup de tristesse sur terre, mais il est difficile de surpasser celle qui envahit une femme quand elle sent que l’amour qu’on lui portait s’en va, oh tout doucement, pas du jour au lendemain, non, mais irrésistiblement, comme le sable du sablier. Une femme a besoin qu’un homme l’admire pour s’épanouir, du moins c’est ainsi que je vois les choses. Une fleur a besoin de soleil. Anne se fanait sous mes yeux absents. Qu’y pouvais-je ? Le mariage, le temps, Alice, le monde, la ronde des planètes, les pulls moulants noirs, l’Europe de Maastricht, tout semblait se liguer contre notre couple innocent.
Je quittais ma femme, et pourtant c’est à moi-même que je disais au revoir. Le plus dur ne serait pas de quitter Anne mais de renoncer à la beauté de notre histoire. Je me sentais comme toute personne qui abandonne un projet trop ambitieux pour être possible : à la fois déçu et soulagé.